géographie de la population 1

1ère partie- Qu'est-ce que l'étude géographique de la population

1- Evolution de la géographie de la population

L'évolution de la géographie

De l'Antiquité au 19è s : on découvre le monde à l'occasion des voyages maritimes, les informations sont partielles. Ce qui intéresse sont les particularités "ethnologiques" : activités, mœurs, habitations, costumes, aliments, chez Hérodote, Eratosthène, Strabon ("Tableau du Monde romain"), Pausanias.

(Parallèlement on assiste au début de la "géographie mathématique" avec la géométrie de la terre, les premières cartographies de Ptolémée, astronome, mathématicien et géographe grec d'Alexandrie).

Aux 17è et 18è s : on commence à réfléchir sur les rapports entre le milieu et la société (Montesquieu), mais dans une perspective déterministe (le milieu joue un rôle fondamental sur l'homme) (c'était aussi davantage le cas à l'époque par rapport à aujourd'hui) : en gros, les villes et les villages qui existent devaient nécessairement exister, étant donnée la présence d'un couloir de circulation, d'une mine de fer, d'un site favorable : il n'y a qu'un seul choix possible et obligatoire.

(Pendant ce temps en "géographie cartographique" : Mercator invente sa nouvelle projection en 1594, pas grand chose d'autre)

Courant 19è siècle
En France : jusque là, la géographie n'a pas dépassé les récits d'expédition et la cartographie (rattachée aux mathématiques).
Malte-Brun fait paraître la première Géographie Universelle (1810-1829), la Société de géographie de Paris est fondée en 1821, en lien avec l'intérêt des gouvernements et de la bourgeoisie d'affaire pour les expéditions coloniales.

Elisée Reclus occupe une position marginale : savant solitaire et anarchiste (communard), il n'a pas fondé d'école, mais a beaucoup écrit : notamment la deuxième Géographie universelle en 19 volumes (1876-1894). Descriptif et explicatif, l'ouvrage contribue à créer une atmosphère favorable à la géographie.

1880-1950
A partir de la fin du 19è s, la géographie est fondée à deux niveaux :
- elle devient une matière de l'enseignement secondaire, en même temps que l'histoire, dans le but d'aviver la fibre patriotique des jeunes Français, suite à la perte de l'Alsace et la Lorraine en 1871. Ainsi le "tour de la France par deux enfants" (Bruno) date de la fin du 19è s.

- Au niveau universitaire la géographie est fondée par le fameux Vidal de la Blache avec de Martonne (son gendre) et Max Sorre. Ils créent les Annales de géographie en 1891. Leurs nombreux livres, manuels, cartes, atlas, le Tableau de la France dans l'introduction à l'Histoire de France de Lavisse, fondent "l'école française" marquée par :

- une formation historique importante (tous les géographes étaient des historiens au début du siècle, notamment Vidal de la Blache. L'agrégation de géographie ne date que de 1940).

- un rôle important attribué à la géomorphologie-géologie : l'orientation des études géographiques met l'accent sur le rôle du milieu physique sur l'homme, mais désormais dans une vision "possibiliste" : la nature propose, les hommes disposent : les hommes ont une marge de liberté par rapport à la nature.

- l'importance des monographies régionales. La géographie sera longtemps dominée par les thèses de monographies régionales descriptives et explicatives essentiellement marquées par le poids des formes du relief et par le poids de l'histoire sur ces régions.

Cette géographie vidalienne se fonde sur une base cartographique importante, l'observation sur le terrain. Ses détracteurs diront que l'approche analytique lui tient lieu de rigueur scientifique. Elle est symptomatique d'une France qui n'en finit pas d'être rurale. La géographie est alors "la science des lieux" et non des hommes. Ainsi la place de la géographie de la population reste modeste : 2% des articles des Annales de Géographie

Après 1950 a lieu un tournant majeur.
On s'intéresse désormais aux problèmes économiques, démographiques ou sociaux : la répartition des hommes, leurs caractères démographiques (l'exode rural, l'urbanisation, les migrations, la ségrégation ethnique ou sociale), les catégories socio-professionnelle, avec un souci de plus grande quantification.

Ce nouvel intérêt pour l'étude de la population apparaît chez les géographes mais aussi, de manière concomitante, chez les gouvernements et les statisticiens. En effet, avant 1945, le thème de la reproduction humaine était tabou, idée de remettre en cause l'ordre divin était sacrilège envers l'église. Il a fallu la catastrophe de la deuxième guerre mondiale pour que se fonde une science démographique : après 1945, deux pays s'y intéressent particulièrement : le Japon, menacé de surpopulation et la France menacée de sous population car elle a déjà accompli sa transition démographique ; de plus on cherche des raisons à la débâcle de 1940.

Parallèlement à la réhabilitation par Pétain de la famille ("travail famille patrie"), et la création de la fête des mères qui sera reprise par la République, la France crée dès 1941 un "service de la démographie" qui devient INED en 1945 (Institut national des études démographiques. Alfred Sauvy en fut directeur jusqu'à 1962.

Polytechnicien, Alfred Sauvy (www de l'Ined) fonde une démographie statistique basée sur les chiffres, que les géographes doivent maîtriser mais ne produisent pas. La géographie inscrit ces données dans un espace géographique, c'est-à-dire social, politique, culturel.

Le premier livre à paraître uniquement sur le sujet date de 1951, Pierre George. L'intérêt croît dans l'enseignement universitaire : les livres, articles, congrès se multiplient notamment grâce à l'augmentation de l'information statistique disponible. (c'est l'époque de la géographie quantitative, fascinée par l'abondance nouvelle des chiffres et une plus grande facilité de les traiter avec les tout premiers ordinateurs). Cet intérêt est apparu en France comme en Europe et en Amérique du nord.

Que recouvre la géographie (de la population) ?

Il faut dépasser l'opposition stérile entre la géographie physique et la géographie humaine : la géographie est désormais une science sociale et humaine, allant piocher quelques éléments de nature des sols et de climats si nécessaire, mais pas plus que l'histoire rurale par exemple. Une "science qui étudie la dimension spatiale du social, l'espace des sociétés" (Jacques Lévy).

Son objet est la manière dont une organisation sociale s'inscrit dans l'espace et la manière dont elle façonne son espace (en prenant ce qu'il faut en sociologie, psychologie, économie, sciences politiques), l'étude des sociétés humaines considérées à travers l'espace qu'elles organisent et aménagent.

La géographie de la population s'efforce de comprendre la société par l'étude des rapports entre la population et l'espace : l'inégale occupation de la terre par les sociétés humaines, les différenciations (en groupes variés, dans la mesure où cette structure est observable du fait de sa projection dans l'espace), mouvements. Le champ d'investigation est très vaste puisque la population constitue l'arrière plan de toute la géographie.

Pour se différencier de l'approche démographique pure de Sauvy, de la démographie historique des historiens type EHESS (www), les géographes mettent en général l'accent sur le recentrage sur l'espace.

2- Les sources de l'étude géographique de la population

Les recensements

Histoire rapide du recensement
La comptabilité des hommes n'a longtemps intéressé que les rois et leurs ministres, pour les finances (le fisc) et la guerre.
Dès l'antiquité, il y a eu des esquisses de recensement : en Egypte, en Chine entre 2000 et 3000 ans AC. A Rome, chacun connaît l'histoire de la naissance de Jésus, né dans le village de son père où la famille était allée se faire recenser (Bethleem). Recensement vient d'ailleurs de censeur, responsable administratif qui s'en occupait à Rome. Les recensements sont tombés en désuétude à la fin de l'Antiquité avec le dépérissement des pouvoirs centraux et de la notion d'Etat.

Au Moyen Âge, on recommence les recensements avec la réapparition de la volonté centralisatrice des rois de France  : d'abord sous Saint-Louis et Philippe le Bel, où l'on dénombre les feux (= les ménages), pour des raisons fiscales. En 1328, Philippe de Valois fait dresser la liste des paroisses et le nombre de feus. François Ier améliore le système en ordonnant que les paroisses tiennent des registres consignant les naissances, les décès, puis les mariages, ancêtres de l'Etat civil. Le renforcement de l'absolutisme accroît les contrôles sur la population : Louis XIV et ses ministres (Colbert et Vauban, qui fait établir un premier dénombrement par tête en 1694)

Le premier recensement moderne a lieu en Suède en 1750 (Puis Norvège, Danemark, Etats-Unis en 1790), en France en 1801 à l'instigation de Napoléon, puis tous les 10 ans. On a donc des recensements sur une longue durée en Europe, qui ne furent pas exploités avant 1945 (par respect de l'ordre naturel, voire de l'ordre divin qui seul régissait la reproduction humaine)

Aujourd'hui
L'ONU recommande de le faire tous les 10 ans (et plutôt dans les années finissant par 0 ou par 1) (en France le recensement se faisait toutes les années finissant par 1 et 6 ; depuis 1946 il a été mené seulement tous les 8 ans, jusqu'à 1990 ; le prochain aura lieu le 3 mars 1999).

L'ONU recommande aussi 12 questions : sexe, âge, situation de ménage et/ou situation matrimoniale, descendance, nationalité, lieu de naissance, lieu de résidence, activité, lieu de travail et niveau d'instruction. On peut demander aussi la langue maternelle, la langue pratiquée, la religion, on peut poser des questions sur les immeubles (date de construction, type) et sur le logement (nombre de pièces, confort sanitaire et chauffage), sur les déplacements de travail, les revenus (mais si on veut des informations beaucoup plus complètes, on fait plutôt des enquêtes, beaucoup moins chères)

Pour les géographes, les recensements donnent une information spatiale détaillée, qui peut aller jusqu'à la maison rurale, jusqu'à l'îlot urbain (mais c'est payant, cf site www de l'INSEE). Par défaut, l'insee fait un dépouillement au quart (1/4 des réponses dépouillées). Si une commune veut un résultat plus fin, elle doit le commander.

Les limites des recensements pour l'étude géographique
Leur qualité est bonne dans les pays développés où l'erreur est estimée à moins de 3% (1,8 d'omission et 0,5 de comptage double). Leur qualité est meilleure que les données économiques, la population ne redoutant plus leur incidence fiscale.

Mais ce n'est pas le cas dans les PVD : hors Europe il a fallu attendre après 1945 pour les recensements.
- La population de certains pays n'est pas recensée : Afghanistan, Yémen. Les informations sont périmées pour une trentaine de pays pour des raisons financières ou politiques (Guinée et Zaïre, Corée du Nord, Ethiopie). Exemple du Liban.

- La valeur des informations est parfois mauvaise dans les pays en voie de développement : parfois plus de 20 %. Les agents recenseurs font mal leur travail (peu formés, mal payés), les gens sont méfiants : habituellement les fonctionnaires qui se déplacent sont la police ou le fisc.

Dans certaines campagnes, les gens sont difficiles à joindre à cause du manque de pistes (en Ethiopie, les 2/3 du pays sont à plus de 30 km de toute piste), des cartes non détaillées ou du caractère nomade de la population. En Turquie on a déclaré le couvre-feu pour faire moins d'erreurs. En Amérique latine ou en Afrique, la situation de guérilla ou d'insécurité empêche la fiabilité des recensements. Les gens donnent parfois des réponses fausses : soit exprès pour le fisc, le service militaire (limites d'âge) ou l'école (on se déclare plus jeune).

Se pose le problème de l'analphabétisme : on connaît mal son âge : une jeune fille non mariée à 25 ans se déclarera plus jeune. On donne l'âge psychologique, on arrondit. Rôle aussi des tabous : notamment concernant le sexe des enfants, le garçon a une plus grande valeur dans de nombreuses civilisations, donc on a tendance à répudier les femmes qui n'ont pas su donner de garçons et ca fait des erreurs dans les réponses

Les autres sources d'information

- Etat civil : pour la natalité, la mortalité, la nuptialité, la divorcialité ; la déclaration est entrée dans les mœurs dans les pays développés (depuis les registres paroissiaux du Moyen Age)

L'état civil est beaucoup plus incomplet dans les pays en voie de développement : les registres sont valables dans les villes d'Amérique latine, mais inexistants dans les campagnes en Afrique et en Asie. On a essayé dans certaines villes avec la carotte et le bâton, par des primes et des amendes.

On utilise donc aussi :
- Les enquêtes démographiques dans les pays en développement
- Certaines informations sont collectables dans les administrations de l'Intérieur, de l'Education ou de la Santé : par ex en Afrique
- Les photos aériennes : on compte l'habitat en vrai dans un échantillon. Puis on évalue le nombre grâce aux autres photos aériennes.

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